Récit du Martyre de l’Imam al-Hussein: Abbas fils d’Ali
L’Imam al-Hussein resta longtemps sans rien dire, le regard impénétrable, le cœur glacé.
Abbas s’approcha :
– Mon Maître, c’est maintenant à mon tour de marcher au combat, comme ont fait tous les autres avant moi.
L’Imam al-Hussein ne répondit qu’après un moment,d’une voix douce :
– Oui, vraiment, c’est à Dieu que nous appartenons, et c’est à Lui que nous devons retourner !
Depuis sa plus tendre enfance, Abbas vouait une dévotion sans pareille à son frère al-Hussein. Un jour torride d’été, dans la Mosquée de Koufa, alors que lui-même était tout enfant, il avait vu qu’al-Hussein avait les lèvres sèches. Il en avait conclu qu’il devait avoir très soif. IL était alors sorti en courant de la Mosquée, et était revenu aussi vite qu’il l’avait pu avec un récipient plein d’eau fraîche, pour l’offrir à son frère.
Dans sa course, Il avait éclaboussé ses vêtements, qui ruisselaient d’eau. De sa chaire, l’Imam Ali son père l’avait vu, et tant de dévouement lui avait fait monter les larmes aux yeux. Plus tard, lorsque l’Imam Ali, mortellement blessé, avait réuni autour de lui ses enfants, il les avait tous confiés à la garde de son fils aîné, Hassan.
Tous sauf un, Abbas. Celui-ci, alors âgé de douze ans, ne comprenant pas pourquoi il était exclu de cette mesure de sollicitude, avait éclaté en sanglots.
L’Imam Ali lui avait alors dit d’approcher. Il avait pris sa main qu’il avait placée dans celle d’al-Hussein, en disant :
– al-Hussein, je te confie cet enfant. Il me représentera le jour de ton Martyre, et il donnera sa vie pour ta défense et celle des tiens, mieux que je ne le ferais moi-même si j’étais encore en vie ce jour-là.
Puis l’Imam Ali s’était tourné vers Abbas et lui avait dit avec tendresse:
– Abbas, mon enfant. Je connais ton amour sans bornes pour ton frère al-Hussein. Bien que tu sois trop jeune pour que l’on te parle de cela, le jour où cet événement se produira ne considère aucun sacrifice trop grand pour al-Hussein et ses enfants.
Soukeina s’approcha de son oncle Abbas. Une outre vide à la main. Derrière elle tous les autres enfants s’étaient rassemblés. Ils pleuraient, ils gémissaient, tant la soif les torturait. Soukeina tendit son outre à Abbas:
– Mon oncle, je sais que tu feras tout ce que tu peux pour nous apporter de l’eau. Même si tu ne peux remplir qu’une seule outre, au moins pourrons-nous mouiller un peu nos gorges desséchées!
Abbas prit l’outre plate, et demanda à l’Imam al-Hussein la permission d’aller chercher de l’eau pour les enfants. Ceux-ci le suivirent jusqu’à l’extrême limite du camp, et tant qu’ils purent voir sa silhouette, ils restèrent là, sans bouger.
Son épée dans une main, l’étendard de l’Imam al-Hussein dans l’autre, et l’outre attachée sur son dos, le fidèle Abbas s’élança à bride abattue.
Arrivé au bord du fleuve, il chargea les soldats qui se trouvaient là, et les mit en fuite. L’instant d’après il était dans l’eau jusqu’à mi-jambe ; l’instant suivant l’outre était remplie d’eau fraîche. Il recueillit dans sa main un peu du précieux liquide, pour le porter à sa bouche et apaiser la soif qui ne lui laissait pas de répit ; mais, se ressaisissant, il rejeta l’eau promptement.
Comment pourrait-il en avaler une seule goutte alors que Soukeina et les enfants se mourraient de soif ? Comment pourrait-il oublier que son Maître al-Hussein n’avait rien bu depuis trois jours ?
Son outre pleine, Abbas se remit en selle, avec une seule pensée: apporter aussi vite que possible cette eau aux enfants qui l’attendaient dans la poussière brûlante. En le voyant galoper vers le campement,
Les soldats de Yazid se dirent que si l’Imam al-Hussein et ses gens pouvaient se désaltérer si peu que ce fut, il serait difficile de les vaincre. Alors ils se ruèrent à sa poursuite. Abbas se battit comme se battait son noble père, l’Imam Ali, le Lion de Dieu.
La faim et la soif terribles ne l’empêchaient pas de semer l’effroi dans les rangs ennemis.
Puisqu’il n’était pas possible de venir à bout d’un tel adversaire en le combattant de front, les hommes de Yazid lancèrent sur lui une grêle de flèches.
Abbais n’avait plus qu’un souci : protéger coûte que coûte l’outre et la porter intacte au campement. Un ennemi perfide, jaillissant tel un diable de derrière une dune de sable, porta un coup terrible tranchant net sa main droite. En un éclair Abbas saisi son épée de la main gauche, serrant l’étendard contre sa poitrine.
Le lion devenu infirme, les poltrons s’enhardirent. Ils vinrent plus près, encore plus près, un coup d’épée blessa profondément le bras gauche. Abbas serra l’outre entre ses dents, coinça l’étendard entre sa poitrine et sa monture, et força le barrage. IL n’était plus habité que par la pensée de Soukeina et des enfants, qui avaient mis en lui tous leurs espoirs. Dans une prière silencieuse, il supplia Dieu de l’épargner le temps de mener à bien sa mission.
Mais cela ne devait pas être. Une flèche transperça l’outre, qui se vida en peu d’instants. Une autre se ficha dans l’œil du héros désemparé par l’échec de son entreprise. Un coup mortel fut asséné à Abbas par derrière, avec une massue de fer.
IL chancela et tomba sur le sable brûlant. Sentant la mort approcher à grande pas, Abbas appela L’Imam al-Hussein…
Comme en réponse à son cri de détresse, il sentit sa présence à ses côtés. IL ne voyait rien qu’un brouillard rougeâtre, car un œil avait été percé d’une flèche, et l’autre était noyé de sang. IL ne pouvait voir, mais il sentit son Maître s’agenouiller près de lui, et soulever sa tête, et la poser sur ses genoux.
Aucun d’eux ne parla pendant plusieurs secondes car tous deux étaient brisés par l’émotion. A la fin, l’Imam al-Hussein rompit le silence, parlant d’une voix entrecoupée de sanglots:
– Abbas. mon frère, comment t’ont-ils traité…
– Tu es venu, mon Maître! Je craignais de ne pouvoir te dire adieu, mais Dieu merci tu es venu!
Abbas laissa glisser sa tête sur le sable. Tendrement l’Imam al-Hussein la prit dans ses mains et la remit sur ses genoux, lui demandant pourquoi il l’avait retirée.
– Mon Maître! Quand toi, tu rendras ton dernier soupir, personne ne sera près de toi pour prendre ta tête sur ses genoux, ni pour te réconforter. C’est pourquoi il vaut mieux que ma tête repose sur le sable lorsque je rendrai l’âme, tout comme ce sera le cas pour toi-même. Et puis je suis ton serviteur et toi tu es mon Maître, et il n’est pas convenable que je pose ma tète sur tes genoux.
L’Imam al-Hussein regardait le visage de ce frère si dévoué, et il ne pouvait retenir ses sanglots.
– Mon Maître, je voudrais exprimer mes dernières volontés. Quand je suis venu au monde, ton visage est la première chose que j’ai vue, et je voudrais pouvoir le contempler encore à l’heure de rendre l’âme. Mon deuxième souhait est que tu ne ramènes pas mon corps au campement. J’avais promis à Soukeina de lui rapporter son outre pleine d’eau, et je n’ai pu tenir ma promesse. Je n’ose donc pas me trouver en sa présence, même après ma mort. Et puis depuis ce matin tu as subi tant d’épreuves, ô mon Maître, que je ne veux pas que tu épuises tes forces en transportant mon corps. Enfin je’ ne veux pas que tu laisses Soukeina venir jusqu’ici. Je sais quelle affection elle éprouvait pour moi. Me voir dans cet état pourrait la tuer
– Abbas, je te promets de respecter tes dernières volontés. Mais moi aussi je veux te demander une faveur. Depuis ton enfance tu m’appelles, ton Maître. Au moins une fois appelle-moi ton frère !
L’Imam al-Hussein nettoya le sang qui aveuglait l’œil resté valide. Les deux frères échangèrent un long regard d’adieu.
Abbas murmura:
– Mon frère ! Mon frère !
Et avec ces mots il rendit le dernier soupir.
L’Imam al-Hussein s’effondra:
– O Abbas ! Qui nous défendra désormais, Soukeina et moi ? (maintenant avec ton martyr) mon échine est cassée et ma force diminuée
Source : http://alhassanain.org/french