Textes

« Le Regard de l’Aveugle » le chef-d’œuvre littéraire qui m’a conduit à l’excellent auteur Mamadou Samb !

Cheikh Mohamad Kanso

Notre destination était la ville de Mbour. Nous sommes partis le matin dans un cortège funèbre, en exécution de sa volonté et pour réaliser son souhait d’être enterré dans la terre qu’il aimait, dans le pays où il a vu le jour, auquel il appartenait et pour lequel il a travaillé avec dévouement jusqu’à son dernier souffle.

Le défunt, Samir (Tarraf), voulait se reposer de ses douleurs et dormir paisiblement aux côtés de sa famille, de ses proches et des fils de sa patrie, à l’instar de nombreux Libanais qui ont posé leurs bagages au Sénégal, terre d’hospitalité, depuis plus de cent quarante ans.

À mi-chemin, certains compagnons ont proposé que nous fassions une halte dans une station-service jusqu’à ce que l’ensemble du cortège soit réuni. Nous sommes descendus à la station, attirés par la salle de repos attenante, où

les voyageurs peuvent prendre le petit-déjeuner ou savourer du thé et du café.

Mes amis m’ont précédé à table, tandis que mon regard fut happé par un coin où étaient exposés des livres, magazines et journaux. Comme à mon habitude, je me suis mis à flâner parmi les ouvrages, tel un papillon errant

autour d’une lampe ou d’une lueur dans l’obscurité. Mes yeux se sont posés sur le livre « Le Regard de l’Aveugle », un roman en langue française de l’écrivain sénégalais Mamadou Samb.

Le titre et l’image de la couverture m’ont captivé. Sans même feuilleter les pages, j’ai reposé le livre et rejoint mes compagnons. Pourtant, l’attraction du livre ne m’a pas quitté, et, presque malgré moi, je me suis levé, suis retourné au coin des livres, ai saisi l’ouvrage et me suis dirigé vers la caisse pour l’acheter.

Deux jours plus tard, j’ai décidé de commencer la lecture du roman, avec

l’intention d’atteindre deux objectifs à la fois : découvrir la littérature romanesque africaine et percer le mystère du titre « Le Regard de l’Aveugle ».

J’ai consacré une heure quotidienne à cette lecture, et, le fait que le roman soit découpé en sections claires et successives, suivant l’évolution des événements, m’a grandement facilité la lecture.

Chaque jour, je dévorais un chapitre entier, découvrant peu à peu les personnages : d’abord l’héroïne du roman, ‘Oulimata’, personnage le plus marquant, suivie de son père Danfa. Ensuite ‘la Mère des femmes’,

 

Fanta, Saliou, Adja et ses filles, Ouly, Sali, Kader, et bien d’autres personnages, chacun jouant un rôle essentiel et laissant une empreinte décisive sur la vie et le destin de l’héroïne.

Durant tout un mois, j’ai vécu au rythme du roman avec impatience et anticipation. J’avais la sensation de vivre une réalité palpable, comme si je connaissais ces personnages, de voir leurs visages, de les croiser chaque jour, d’autant que de nombreuses scènes se déroulaient à Dakar : au

marché Sandaga, tout près de chez moi, ou encore dans la rue Peytavin, à quelques mètres de ma maison.

Le roman retrace le parcours semé d’épreuves d’Oulimata, de Bamako à Dakar, et raconte une trajectoire de défi, de lutte, de résilience et d’altruisme dans l’existence d’une jeune fille au seuil de sa jeunesse. Le récit explore un large éventail de concepts, de situations et de comportements sociaux, mettant en lumière la domination des coutumes, traditions et normes oppressives, telles que l’excision féminine, ainsi que d’autres mutilations physiques et psychologiques imposées par l’ignorance et le poids des conventions. » Il pointe également du doigt l’injustice, la tyrannie, l’ignorance, la pauvreté, la discrimination sociale et l’asservissement. À travers le récit, il revendique le droit à la liberté et à la protection de la dignité humaine, tout en dénonçant vigoureusement la logique qui considère la richesse et le capital comme une justification pour exploiter l’homme, s’approprier son esprit et son corps.

Avec un style tragique, réaliste et saisissant, capable de susciter des émotions intenses et, je ne saurais trop dire, de faire verser des larmes, l’écrivain talentueux Mamadou Samb nous a transportés dans les villages démunis, voyageant en silence à travers les wagons des trains modestes. Il nous a conduits dans les quartiers noyés sous le poids de la pauvreté et de la misère, nous faisant arpenter des ruelles étroites où se mêlent sans-abri, exclus, ivrognes, toxicomanes, charlatans, imposteurs, vagabonds, mendiants, vendeuses de plaisir et acheteurs.

Avec une sensibilité profonde et une créativité littéraire frappante qui mérite tous les éloges, l’écrivain nous a incités à nous confronter la brutalité de la réalité, à découvrir les failles de sociétés et de quartiers où le rayonnement de la justice sociale s’est éteint, laissant place à l’obscurité, à la misère et à la désolation. Dans son récit, les dialogues, les situations et les mots, d’une intensité remarquable, éveillent en chacun l’esprit de révolte face à l’arrogance et au mépris.

 

Par exemple, on peut citer le cri de Fanta adressé à son employeuse, Adja :

« Adja, Voilà la clef de votre chambre. Tout est dedans, votre lit, vos habits, vos bijoux, vos chaussures, tout ce que vous m’aviez donné et qui vous appartient. Tout sauf moi, car je ne vous appartiens pas. Je dis bien tout sauf moi, car moi, je ne suis ni votre esclave, ni l’esclave de Saliou !« 

On trouve aussi une description du caractère de Fanta : « Depuis mon enfance, j’avais toujours aimé lutter contre ceux qui voulaient faire de moi une soumise, une moins que rien ; je rugissais comme une lionne, et je mordais comme une tigresse chaque fois que j’avais les moyens de me défendre. J’avais toujours refusé de porter sur mon dos l’histoire de mes ancêtres.Quand ma bouche dit ‘non’, mon cœur le soutient, mon sang l’accompagne, mes oreilles se ferment à toutes sollicitations extérieures, et mes yeux ne voient plus que la lumière de la liberté. »

Ma plongée dans le roman m’a poussé à rencontrer en personne l’auteur, un homme à la fois sensible et créatif. À travers son récit, j’ai découvert qu’il existe de nombreuses similitudes et affinités qui nous lient, et que nous partageons une même ligne de front dans la lutte pour défendre l’homme opprimé.

Nous sommes deux militants qui avons franchi toutes les barrières géographiques et ethniques, unis par nos idées et nos mots, cherchant à allumer une bougie dans l’obscurité profonde, plutôt que de maudire les ténèbres.

Après avoir effectué des recherches sur Internet, le hasard m’a guidé vers l’éminent professeur, écrivain, intellectuel et militant des droits humains, Mamadou Samb. C’est grâce à une conversation téléphonique que nous avons franchi le premier pas vers une rencontre en personne, où il m’a chaleureusement accueilli, accompagné de mon cher professeur Babacar Seck, dans sa maison située dans l’un des quartiers de Dakar, la capitale sénégalaise.

Ce fut une rencontre agréable et inoubliable, où notre hôte nous a enchantés par sa chaleureuse hospitalité, sa générosité et sa grande courtoisie. Nous avons échangé sur le roman et les thématiques qu’il explore, sur la littérature et l’écriture, ainsi que sur divers autres sujets et préoccupations. Alors que le temps s’écoula rapidement et qu’il fallut se séparer, je suis parti avec un souvenir merveilleux et deux trésors précieux.

 

La belle impression laissée par cette visite était un sentiment profond d’appartenance à mon pays d’accueil, le Sénégal, à mes êtres chers, à leurs joies et leurs peines, à leurs espoirs et leurs rêves, ainsi qu’à leur passé, leur présent et leur futur.

En ce qui concerne les deux trésors, le premier était une amitié et une connexion profonde avec une figure de grande stature, un véritable pilier de la culture et de la littérature africaine authentique, fermement enracinée dans

l’histoire de ce continent, résistant à l’oppression, ami du soleil et amoureux de la mer, tel un Baobab imposant. Quant au second, il s’agissait d’un cadeau de récits et d’écrits, enrichis des mots et de la signature de leur auteur, un véritable honneur pour moi, comme si j’avais reçu des médailles prestigieuses.

Après avoir lu le roman « Le Regard de l’Aveugle », qui a remporté le grand prix du roman des élèves des lycées au Sénégal en 2011, je ne peux que dire qu’en me promenant à travers le marché Sandaga ou la rue Peytavin, je commençais à scruter les visages, espérant croiser Oulimata, son père ou l’un des personnages du roman, que l’auteur, avec son pinceau magique, a su métamorphoser en une véritable œuvre d’art !

Oulimata n’est pas un simple personnage de fiction ou une figure imaginaire, mais une réalité que nous croisons chaque jour aux tournants de nos vies.

Oulimata, fille de l’aveugle, comme elle se définit elle-même, est une héroïne courageuse et une sacrifiée

dévouée, une jeune femme qui a fait de sa fierté son arme pour préserver sa dignité. Elle a lutté longtemps, jusqu’à ce que les venimeuses flèches du destin la frappent et lui causent une blessure fatale.

« Je mendiais certes pour me nourrir, mais l’argent, que je savais être l’objet le plus insidieux par lequel l’homme dominait son semblable, perdait toute sa valeur à mes yeux dès que son propriétaire ne me traitait plus en égale, ou cherchait à manifester sa supériorité par rapport à ma personne. » (Oulimata)

 

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Cheikh Mohamad Assad Kanso

Dakar / Sénégal

Le 12/03/2025

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