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Récit du Martyre de l’Imam al-Hussein: Abdallah, le nourrisson

La mère scrutait le visage de son enfant. Sa peau avait pris la couleur de cendre. Sa maigreur était telle que tous les os faisaient saillie. Les yeux fiévreux, angoissés, enfoncés dans les orbites, semblaient chercher quelque chose. Il entrouvrit ses lèvres sèches et dures sur lesquelles il passa une langue qui ressemblait à un os desséché.

La mère regardait, impuissante. Elle attendait que la mort vienne délivrer son enfant de cette interminable agonie.

Mais quelle mère peut regarder son enfant mourir ainsi de faim et de soif ? Ne pouvait-elle rien faire pour lui donner un peu d’eau qui coulait à flots, quelques centaines de mètres plus loin ?

Depuis trois jours tout le camp mourait de soif. Pendant un jour la mère avait pu allaiter son enfant, puis le lait s’était tari…

Une pensée fugitive traversa son esprit : prendre l’enfant dans ses bras et courir, courir jusqu’au fleuve et y plonger le petit moribond ! Mais ce n’était qu’une idée folle, qu’elle rejeta aussitôt.

Que penserait son époux, l’Imam al-Hussein, d’une telle initiative ? N’avait-il pas eu son lot de tourments depuis le matin, perdant l’un après l’autre ses amis, ses parents, et rapportant lui-même, dans ses bras, jusqu’au campement, leur dépouille vidée de sang ?

Chaque instant qui passait aggravait l’état de l’enfant. Chaque instant qui fuyait avivait l’angoisse de la mère. Elle ne savait que faire. Elle se leva. Elle serra l’enfant dans ses bras, tournant en rond dans la tente surchauffée.

Un bruit léger derrière elle la fit tressaillir. C’était l’Imam al-Hussein qui entrait. Ne pouvant réprimer plus longtemps son angoisse, elle le supplia:

– Mon Maître ! Mon enfant innocent est en train de mourir de soif ! Pour l’amour de Dieu, fais quelque chose pour lui !

L’Imam al-Hussein la regarda, il regarda l’enfant. Il se rendait compte à quel point les craintes de la mère étaient fondées. IL réfléchit un instant, et lui dit:

– Rabab, donne-moi Abdallah ! Je vais demander à l’armée de Yazid de lui donner à boire !

Emportée par la joie, à l’idée que son nourrisson allait enfin pouvoir étancher sa soif, Rabab le tendit à son père.

– Fais vite ! Le temps presse… Que Dieu te vienne en aide ! Quand tu seras dehors, ne laisse pas Abdallah en plein soleil, couvre-le avec ton vétement ; dans l’état où il est, il dessécherait comme une fleur exposée à la fournaise.

Rabab suivit l’Imam al-Hussein à l’entrée de la tente, et resta là, debout, le regardant s’éloigner vers l’armée de Yazid.

Les soldats virent l’Imam al-Hussein venir à leur rencontre. Comme il avait changé en un jour ! Comme il était devenu méconnaissable ! Son dos s’était voûté, ses cheveux et sa barbe étaient devenus presque blancs, tant il avait enduré de tourments et de peines depuis le matin. Ils voyaient qu’il portait quelque chose sous son vêtement. Un grand nombre pensaient que ce devait être le Saint Coran, et qu’il souhaitait sans doute s’en remettre à l’arbitrage du Livre pour décider entre lui et Yazid.

L’Imam al-Hussein approcha encore, jusqu’à ce qu’il soit certain que tous pourraient voir distinctement ce qu’il voulait leur montrer. Alors il sortit Abdallah et l’éleva à bout de bras. Il déclara d’une voix forte:

– O soldats de Koufa et de Damas ! Je suis venu ici sur l’invitation des vôtres pour leur prêcher les Principes de l’Islam. Au lieu de nous traiter, moi et les miens, comme vos invités, vous nous avez trahis. Vous nous empêchez même de boire la moindre goutte d’eau depuis trois jours. Vous avez tué mes fidèles amis, mes neveux, mes frères. mon fils…

Si dans votre esprit nous avons commis un crime impardonnable en refusant de nous incliner devant Yazid le dictateur, mon enfant que voici, qui est encore un nourrisson, n’a commis aucune faute, lui ! Depuis trois jours il n’a reçu aucune nourriture. Il est en train de mourir de soif… L’Islam est la Religion que vous affirmez suivre, et c’est au nom de l’Islam que je vous conjure de donner à boire à cet enfant innocent. Je suis sûr que nombreux sont ceux parmi vous qui ont des enfants de cet âge. Je vous supplie, pour l’amour de vos enfants, de ne pas laisser celui-ci mourir de soif!

Les paroles de l’Imam al-Hussein, et la vue d’Abdallah mourant de soif, bouleversèrent ces hommes qui n’avaient pourtant pas hésité à massacrer des garçons de douze et quatorze ans. Certains ne pouvaient retenir des larmes. Plusieurs commençaient à chuchoter que l’on devrait demander à Omar fils de Saad, le commandant de l’armée, la permission de désaltérer l’enfant.

L’Imam al-Hussein reprit:

– Armée de Yazid ! Peut-être certains parmi vous craignent-ils que ma demande ne soit une ruse pour obtenir de l’eau pour moi-même, pour apaiser ma propre soif. Je vous jure que je suis incapable de ce genre de ruse! Pour vous démontrer ma bonne foi, je suis prêt à vous confier mon enfant, pour que vous lui donniez vous-mêmes à boire. Ce n’est que lorsque vous l’aurez vous-mêmes désaltéré que vous me le rendrez. Je vais poser Abdallah par terre. Ainsi n’importe lequel d’entre vous pourra venir le prendre…

En disant cela, l’Imam al-Hussein étala un morceau d’étoffe sur le sol et y déposa Abdallah. Son geste acheva de ramener des sentiments humains dans le cœur des soldats de Yazid. Plusieurs se rendirent auprès d’Omar fils de Saad, et lui dirent qu’il ne pouvait pas refuser un peu d’eau à un enfant à peine âgé de quelques mois.

Omar se rendit compte que, s’il refusait, certains de ses hommes étaient prêts à se révolter contre lui. Il se tourna vers son archer Harmala qui était un tireur d’élite:

Harmala ! Voici pour toi l’occasion de gagner la reconnaissance du Calife Yazid ! Mets fin à cette situation qui ne saurait durer plus longtemps: montre-nous ton adresse en perçant la gorge de l’enfant !

Harmala imagina de quelles faveur le prince ne manquerait pas de le gratifier lorsqu’il apprendrait comment il avait tiré Omar fils de Saad d’une situation embarrassante. Sans perdre une seconde, il se leva, prit son arc et ses flèches, et se posta au meilleur endroit pour viser sa cible. A la seconde même où il décochait sa flèche, l’Imam al-Hussein s’était baissé et avait reprit Abdallah dans ses bras.

La flèche manqua son but. Harmala sortit une autre flèche de son carquois et visa soigneusement. Dans le lointain, il apercevait une femme, debout à l’entrée d’une tente… Sans doute la mère de l’enfant attendant, angoissée… Cela le troubla, et la deuxième flèche se perdit elle aussi dans le sable.

Omar fils de Saad, qui avait vu les deux échecs de son meilleur archer, s’impatientait. La situation risquait de devenir critique pour lui. Quelques soldats. indignés de ce que l’on était en train de faire, commençaient à murmurer. Il fallait en finir, vite !

II fit à Harmala des promesses délirantes. Mais ce n’était pas la peine, car l’archer se sentait humilié d’avoir à deux reprises manqué sa cible. Il ajusta avec soin son tir, bloqua sa respiration, et sur de lui lâcha sa troisième flèche.

Un jet de sang inonda le visage de l’Imam al-Hussein. La flèche avait frappé avec tant de violence la fragile gorge du tout petit enfant qu’elle l’avait emportée dans sa course.

– Mon fils ! A quel niveau de dégradation ces gens sont donc arrivés, pour ne pas même épargner un enfant innocent comme toi !

Accablé, l’Imam al-Hussein leva sans rien dire le corps d’Abdallah vers le ciel, jusqu’à ce que la dernière goutte de sang se fut perdue dans le sable.

– Mon Dieu ! Tu es Témoin de ce qu’ils ont fait !

Il serra le corps sans vie d’Abdallah contre son cœur,le couvrit de son vêtement, et retourna lentement vers le campement. Il s’arrêta devant la mère dévorée d’angoisse.

Celle-ci vit le visage bouleversé de l’Imam al-Hussein, ses joues couvertes de larmes et éclaboussées de sang. Elle sut ce qu’il allait lui dire.

– Rabab, en tant que ton époux et ton maître, je te demande de me promettre de faire ce que je vais te commander.

– Mon Maître, je ferai exactement ce que tu m’ordonneras. Mais dis-moi ce qu’ils ont fait à mon enfant. Tous les hommes de la famille sont morts en combattant courageusement, mais mon fils était trop jeune pour cela ! Lui ont-ils au moins donné à boire, avant de le tuer ? Même aux animaux on donne à boire avant de les égorger…

– Rabab, je te demande de ne pas appeler la Colère de Dieu sur ceux qui ont tué ton fils. Hélas, ils ne lui ont pas offert la moindre goutte d’eau. A la demande que je leur ai faite, ils ont répondu en lui lançant une flèche !

L’Imam al-Hussein sortit le petit corps de sous son vêtement, et le tendit â son épouse. Rabab le serra contre elle, et s’effondra en hurlant de douleur.

Quelle mère pourrait voir son enfant, son nourrisson dans cet état, et rester calme et impassible ? Zaynab et les autres femmes vinrent consoler la malheureuse mère. Au bout d’un long moment, celle-ci s’approcha de l’Imam al-Hussein.

– Mon Maître, je te demande d’ensevelir de tes propres mains mon pauvre Abdallah, car je sais que lorsque tu ne seras plus là, ces monstres n’hésiteront pas à profaner les restes de nos Martyrs.

Alors l’Imam al-Hussein, sans personne pour l’aider, pour le soutenir, pour le consoler, creusa de ses propres mains une petite tombe dans le sable. Il y déposa le petit corps sans vie. Quant il eut refermé la tombe, et récité la Fatiha, il leva le visage vers le ciel :

– Mon Dieu ! Tu es Témoin que je n’ai pas failli à mon devoir, et que je t’ai offert en sacrifice tous ceux que j’aimais, même mon bébé, même Abdallah !

Mon Dieu, ce qui me console c’est que tu es témoin de tout ce qui m’arrive !

Source : http://alhassanain.org/french/

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